Du serviteur et du maître
Venu dans les rues marchandes de Bucarest pour affaire,
Un paysan une fois tombe dans une vraie souricière,
Car sur le seuil des boutiques toujours guettant les passants,
Pour s’ingénier coûte’ que coûte à les attirer céans,
Les commis se mirent ensemble à le héler, à qui mieux mieux :
– Monsieur cherche quelque chose ? – Que lui faut-il, à Monsieur ?
Et qui lui tirent les basques, qui lui attrapent les mains,
Au point qu’il les prît, pauvre homme, pour une meute de chiens.
L’un : – Monsieur, à votre guise ! L’autre : – Monsieur, par ici !
Un autre : – Chez moi, parole ! Monsieur sera mieux servi.
À la fin, dans une échoppe au jugé il dut bien entrer,
Car ce « Monsieur » si affable l’avait par trop obligé.
Entamé le marchandage, « Monsieur » on le rappela,
Belote, et rebelote, « Monsieur » par-ci, « Monsieur » par-là,
Si bien qu’éperdu d’obligeance, aussitôt fini ses courses,
Ce jobard vit que l’aubaine avait allégé sa bourse.
S’étant fait plumer, le bougre, comme jamais auparavant,
En regagnant son village, ce « Monsieur » grisé l’ayant,
Se dit à part soi : – Mazette ! voilà qui est merveilleux,
Savoir parler au vulgaire et se montrer fort astucieux,
Puisque d’un seul mot me faire enjôler il aura suffi
Pour qu’à délier ma bourse de mon plein gré me sois mis.
Sitôt rentré, je vais faire la leçon à la marmaille,
Qu’elle’ sache tourner sa langue dans sa bouche, où qu’elle aille,
Car il n’est point de meilleure manière d’amadouer,
Surtout quand on a des choses à obtenir du métayer.
Peu après, ayant (disais-je) bien dressé ses rejetons,
Chez le métayer tout juste il dépêcha l’un des garçons
Quérir à sa bienveillance un boisseau de froment moulu,
Enjoignant : – Prends bien la peine de parler comme’ convenu.
Une fois là-bas, le môme, se découvrant poliment,
S’inclina, puis sa requête lui formula sagement :
– Mon père, Sa Seigneurie, prier Votre Seigneurie
De lui prêter me dépêche moi-même, Ma Seigneurie,
Un seul boisseau de farine, de maïs sinon de blé,
Lequel sans tarder, foi d’homme ! vous sera restitué.
Cette drôle de supplique lui étant donné d’ouïr,
Ledit métayer de suite rétorqua, pince-sans-rire’ :
– Ce sera coton, jeune homme : ton père, Sa Seigneurie,
Puis bibi, Ma Seigneurie, toi itou, Ta Seigneurie ?
Qui donc ouvrira la gueule du sac ? Qui le remplira ?
Qui… ce ne sont pas des plumes… sur son dos le portera ?
Et voilà comment bredouille le gamin rentra chez lui,
Tous grands ayant voulu être, et nul rester tout petit.
„Recueil d’adages ou Comme dit le proverbe” („Culegere de proverburi sau Povestea vorbii”), livre en vers et en prose (dans „Opere complete”, facsimilé de l’édition Minerva, Bucarest, 1904, Éditions Semne, Bucarest, 2004), extrait traduit du roumain par Dominique Ilea
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