Français Nr. 267 Traduceri

Du rififi en Transylvanie. Histoires de bouche à oreille (II)




Loin du mythe apocryphe du Comte Dracula, les habitants de cette province roumaine se sont taillé, dans leur propre pays, une réputation de gens à la langue bien pendue, mais volontiers taciturnes ; sagaces, mais ayant parfois l’esprit de l’escalier à force de réfléchir ; philosophes grivois et poètes de l’absurde… (Dominique Ilea)

Petit rappel historique à la sauce aigre-douce

 

Horea (futur meneur de la grande jacquerie transylvanienne de 1784) était un esprit brillant, remarqué et prisé à ce titre par l’empereur de l’Autriche-Hongrie, qui (paraît-il) l’aura plus d’une fois convié à sa cour.

Lors d’un dîner, il se trouve placé à côté d’un baron autrichien, manifestement horripilé par la présence d’un Roumain : d’un roturier, qui plus est !

– Vous venez de Transylvanie, dites-vous ? De ce pays dont les habitants se nourrissent de viande d’âne ?

– Vous semblez très bien connaître les lieux, Votre Excellence, constate Horea, posément.

– Et pour cause : j’ai eu le loisir d’y voyager à plusieurs reprises…

– Curieux que ces gens-là ne vous aient pas encore croqué !

 

Durant la Grande Guerre, que la Transylvanie était encore sous la coupe de l’Autriche-Hongrie et, partant, en guerre avec le royaume de Roumanie (les provinces réunifiées de Valachie et de Moldavie), l’autorité impériale interdit par décret aux Transylvaniens frontaliers les dons alimentaires aux membres de leur famille vivant de l’autre côté, dans la Moldavie frappée par la famine – un blocus censé affaiblir les défenses de l’ennemi.

Naturellement, les concernés multiplièrent les ruses pour contourner la loi et ravitailler leurs proches, coûte que coûte !

Un Roumain de Transylvanie, sac à l’épaule, passe devant le garde-frontière hongrois :

– Hé, toi ! nem oda Buda [« halte-là, pas si vite »] ! Quoi, dedans ?

– Bah, juste un chien, mon cousin aura b’soin d’sa peau…

– À d’autres ! Fais voir, hamar [« et qu’ça saute »] !

– Si j’ouvre mon sac, le chien va s’sauver, sans demander son reste…

– Et si toi pas ouvrir, pas passer ! Kuss [« la ferme »] ! Én [« suis »] pas là pour palabre, mais pour ordres suivre !

L’air navré, l’homme s’exécute : en effet, une espèce de corniaud dépenaillé bondit aussitôt dehors, prenant la poudre d’escampette.

– T’l’avais bien dit ! Là, suis bon pour courir le rattraper…, bougonne son malheureux propriétaire.

Jóisten [« bon Dieu »] ! Avec vous autres, toujours entourloupe craindre… comment si vérité ou craques savoir ?

Le Roumain rebrousse chemin, mine de chercher ce clébard. En fait, non loin de là, dans les fourrés, un complice l’attend avec sa charrette qu’ils avaient chargée aux aurores d’un autre sac, où un magnifique cochon dort comme une souche, gavé de pain trempé dans l’eau-de-vie.

Dès qu’il l’aperçoit sur la route, le garde-frontière le hèle :

– Toi, vite passer, pas veux que ton kutya [« chien »] encore pour moi perdre !

Il fait déjà nuit quand notre homme revient, besace à nouveau vide :

Csapás [« la poisse »] ! Ton kutya, encore échapper ?

– Si, dans un four, qu’y m’a échappé, p’is tout rôti dans l’bec de braves gens, grand bien leur fasse, là où ça passe !

Comme quoi, on gagne toujours à dire la vérité…

 

Un paysan vivant à l’extrême nord de la Transylvanie est chargé par le directeur d’une coopérative agricole d’État de convoyer du bétail de l’autre côté de la frontière – à savoir en Ukraine soviétique, deux kilomètres plus loin.

Bien sûr, on le munit d’un laissez-passer ponctuel…

À son arrivée, le préposé à la douane (après l’avoir contrôlé) lui tend la main courante :

– Za pissaïte, pajalousta  [« signez ici, s’il vous plaît ! »] !

Soit qu’il connaisse mal le russe, soit qu’il veuille se venger un tantinet de ces chers voisins envahissants… notre homme passe derrière l’arbre le plus proche, ouvre sa braguette et, après s’être soulagé, revient dire au fonctionnaire ébaubi :

V’là : c’est fait !

– Kak [« quoi ? »] ? glapit l’autre, qui n’y a strictement rien compris…

– Pour ça… désolé, mon vieux ! j’en ai pas envie, là, d’suite !

 

Par une froide journée d’hiver, dans un trou perdu de la Roumanie socialiste, un convoi mortuaire rentre, vaille que vaille, du cimetière.

À l’entrée du village, louchant sur le gros bocal (rempli d’une poudre brune-grisâtre) porté par le chef de famille, un voisin s’exclame :

– Pour prendre un peu d’terre sur la dernière demeure de vot’ tonton, deux pincées dans l’coin d’un mouchoir auraient fait l’affaire… Pas b’soin d’s’encombrer d’tout ça, à moins d’y vouloir faire pousser des oignons !

– Que m’chantez-vous là ? On est bien allé l’enterrer, mais la terre était toute gelée ! Pas moyen d’y creuser l’moindre trou ! Et, là, l’fossoyeur, avec la bénédiction du pope, nous a aidés à l’brûler dans l’four, avec les feuilles mortes…

– Et, vous allez garder ça… chez vous ?

– Eh ben ! pas ezactement… Ça fait un bail qu’on sait plus quel goût il a, un Nescafé… les cendres d’ce vieux grognon doivent pas êt’ pires qu’l’orge fourragère qu’on nous r’filait pour du caoua à l’épicerie !

 

Dans les prisons de la Roumanie socialiste, un peintre, un sculpteur et un acteur très connus s’étonnent de se retrouver en ces circonstances :

– Moi, j’ai dû faire un Portrait d’Elena Ceaușescu, dit le premier. Les choses se sont gâtées quand je l’ai signé : comme je m’appelle Baba [« La Vieille »]… Et toi ?

– Eh ben ! c’est à peu près la même histoire : on m’a demandé un bas-relief géant à la gloire des Mineurs de la vallée du Jiu. Sauf qu’à la fin j’ai bien été obligé d’y graver aussi mon nom : Jalea [« La Désolation »]…

– Moi, fait le comédien Pellea, le diable m’a poussé à raconter à la télé une blague de chez moi : La Mégère au Maboul à la fête du pays ! Mais, la langue m’ayant fourché, à la place, j’ai dit : La Mégère au Maboul à la tête du pays !

 

Lors de fouilles dans les plaines du nord de la Transylvanie, on y découvre une tombe datant de l’époque des grandes invasions barbares, et contenant le squelette d’un chef de guerre que bientôt l’on soupçonne d’être Attila lui-même, le Fléau de Dieu…

Tous les spécialistes roumains réunis n’étant pas parvenus à se prononcer formellement sur l’identité de la relique, on hésite à ébruiter l’affaire, pour ne pas se disqualifier aux yeux de l’Occident capitaliste (dont, par ailleurs, on ne souhaite point solliciter l’aide scientifique…).

Se présente alors un jeune et robuste adjudant de milice :

– Laissez-moi, un p’tit quart d’heure, seul avec ce macchabée ! rugit-il. J’vous garantis une certitude à cent pour cent !

En désespoir de cause, on accède à sa requête… Quinze minutes plus tard pile, la porte blindée se rouvre à toute volée sur un milicien hors d’haleine, trempé de sueur, matraque à la main :

– V’là ! articule-t-il à peine, pointant son index vers le marbre où gisent des éclats d’os démantibulés, méconnaissables. J’vous avais dit qu’il finirait par se mettre à table : c’est bien lui, l’Attila en cavale !

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Despre autor

Dominique Ilea

Născută în 1962, Anca-Domnica (Dominique) Ilea părăsește România în 1991 și se stabilește în Franța. Prozatoare și eseistă, s-a făcut cunoscută ca traducatoare de literatură română în franceză (Ion Creangă, Radu Aldulescu, Petru Cimpoeșu, Lucian Raicu, Răzvan Petrescu etc.).

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