Français Interviu Nr. 306

Sorj Chalandon : « Mon père m’a menti jusqu’à son lit de mort »

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« Enfant de salaud »  (Grasset, 2021) est un roman biographique, impressionnant sur votre père – un père mythomane et surtout collaborationniste pendant l’Occupation. C’est une évocation, mais aussi un travail d’archives. Est-ce qu’il a été difficile d’écrire ce roman ? (vous avez écrit aussi « Profession du père » en 2015) Le désir d’écrire ce livre marque plutôt un besoin individuel (le « procès du père ») ou collectif (le procès de Klaus Barbie et du nazisme) ?

En fait, mon père m’a menti jusqu’à son lit de mort. Pendant toute mon enfance, il s’est prétendu résistant français, même très proche de Jean Moulin, le chef national de la résistance unifiée. Il me racontait ses attentats, ses faits de guerre, son courage. « Mon père ce héros », en quelque sorte. Lorsque je suis devenu adulte – et donc éloigné de lui – il a commencé à me dire que sa guerre avait été « plus compliquée que cela ». Qu’il avait, je le cite été obligé de « jouer sur les deux tableaux ». Et puis, à la veille de sa disparition, il m’a fait venir pour me dire « la vérité ». Il avait été waffen-SS. Il avait combattu les Soviétiques en Russie puis avait défendu le bunker de Hitler jusqu’au bout. Je l’ai cru. Il est mort. Une fois encore, c’était un mensonge.

En fait, ayant eu accès, six ans après sa disparition, à son dossier pénal, j’ai appris que oui, sa guerre avait été « plus compliquée que cela ». Seul au monde, je pense, il avait porté cinq uniformes en quatre ans, avait déserté à chaque fois et avait survécu à tout cela. En fait, mon père a joué à la guerre comme un enfant.

Ayant enfin la vérité entre les mains, je pouvais écrire son histoire vraie, savoir qui j’étais, d’où je venais et inscrire cette invraisemblable aventure individuelle dans la grande Histoire collective.

L’écriture de ce livre a été, comme on dit aujourd’hui, thérapeutique ? C’était aussi le besoin d’un témoignage personnel adressé à la mémoire collective (le cas de votre père vs le cas de Klaus Barbie, chef de la Gestapo à Lyon) ?

Non, pas du tout. Je n’ai rien écrit, jamais, en forme de thérapie, de tentative de guérison ou de mieux être. L’expression française que je supporte le moins c’est « il faut tourner la page ». Je ne tourne aucune page. Les cicatrices font partie de moi. En revanche, je partage avec les lecteurs. Les effrois, les douleurs, les blessures. Je porte un sac de pierre et chaque roman est une petite pierre offerte, qui vient rejoindre le propre poids du lecteur, et souvent, l’annuler.

En 1987 s’ouvre à Lyon le procès du criminel nazi Klaus Barbie, vous y participez, à côté de votre père. Quel a été votre rôle en tant que journaliste, dans ce procès ?

J’étais envoyé spécial du quotidien français Libération, que j’avais rejoint en 1973, six mois avec sa création. Pendant 34 ans au sein de ce journal, j’ai été grand reporter et spécialiste de la presse judiciaire.

Tout comme Barbie, votre père n’a jamais reconnu sa faute, sa responsabilité. Mais, à la différence de Barbie, vous ne lui reprochez pas le collaborationnisme, mais sa « trahison » en tant que père, ses mensonges, son manque d’honnêteté envers son fils. Est-ce qu’un père doit fournir à son fils « des repères », « des traces » pour se débrouiller dans la vie ?

Qui, tant d’années après la guerre, peut dire : « moi, j’aurais été résistant », ou que sais-je ? En paix, personne n’a le droit de prétendre ce qu’il aurait été. Personne ne sait ce que la guerre déniche dans notre ventre. Un héros, un salaud, un lâche, un collaborateur de la pire espèce ? Personne ne sait. Seule la guerre a la réponse. Je ne peux donc pas, à 71 ans, en vouloir au gosse de 18 ans qu’était mon père. En revanche, je lui en veux de ne jamais avoir été un père, de ne jamais avoir porté l’uniforme du papa. De ne jamais nous avoir dit la vérité sur rien. Jamais. De ne nous avoir laissé que des mensonges, le racisme, l’antisémitisme, la haine et la peur de l’autre en héritage. Il a fallu, après m’être enfui de cette secte familiale à 16 ans, que je me reconstruise, sans aide, sans repère, sans amour.

Avec le procès de Klaus Barbie, vous évoquez les horreurs des camps de concentration, la déportation d’enfants juifs à Izieu (que vous avez documentée en tant que journaliste), le dernier convoi à Auschwitz etc. Est-ce que cet appel à la terrible mémoire collective veut nous avertir encore une fois sur les dangers actuels de l’extrême droite dans notre monde contemporain, tellement compliqué ?

Bien sûr. C’était hier. Le peuple allemand est l’un des plus éduqué, des plus civilisé, des plus littéraire, poète, musicien, philosophe. Comment est-ce possible ? La barbarie n’est que le fait de gens ordinaires. Hier, aujourd’hui, demain. Alors ne rien oublier, jamais. Et ne rien laisser passer, jamais.

Comment voyez-vous, en tant qu’ancien reporter de guerre, avec une grande expérience des zones de conflit, mais aussi de la nature humaine, l’évolution de notre monde d’aujourd’hui, après la pandémie de Covid 19 et en pleine guerre de la Russie en Ukraine ?

Je ne suis pas un penseur, ni un chercheur, ni un sociologue, ni un historien. Je n’ai pas autorité à délivrer un message ou une analyse. Simplement, dans ma vie, mon attitude, l’éducation de mes enfants, mon travail de journaliste, mes écrits de romancier, j’essaie de comprendre et de lutter à ma mesure. Lutter vraiment. Refuser l’irrespect, le mépris, la violence que le fort fait au faible. Enfant battu, j’ai toujours été au côté du plus faible. Toujours. De l’opprimé, du différent, de l’humilié, de celui qui pleure dans son coin. Et entendons-nous bien, je ne suis pas de son côté que par les mots ou le réconfort mais aussi physiquement. Il faut parfois que la peur change de camp. On ne va pas réexpliquer pour l’éternité qu’opprimer une femme, frapper un enfant, voler un ouvrier ou chasser un immigré c’est mal. Il arrive que les mots ne suffisent plus. Et si le méchant emploie la violence, il ne me dérange pas que cette violence se retourne contre lui. Ce n’est ni élégant ni légal, mais c’est justice et moral.

Propos recueillis par Adina Dinitoiu

Sorj Chalandon, „Fiu de ticălos”, Editura Humanitas Fiction, traducere și note de Daniel Nicolescu, București, 2023

 

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Despre autor

Adina Dinițoiu

Critic literar, jurnalist cultural și traducător din franceză, redactor la „Observator cultural”. Colaborează/a colaborat cu cronică literară la „Dilema veche”, „Dilemateca”, „România literară”, „Radio Romania Cultural”, „Bookaholic” etc. Este autoarea cărților „Proza lui Mircea Nedelciu. Puterile literaturii în fața politicului și a morții”, Editura Tracus Arte, 2011, şi „Scriitori francezi la Bucureşti (interviuri)”, Editura Vremea, 2014. În 2019, a coordonat, alături de Raul Popescu, volumul „Nume de cod: Flash fiction. Antologie Literomania de proză scurtă” (Editura Paralela 45, 2019). În 2021, la Editura Seneca, a coordonat, alături de Anastasia Staicu, volumul „Literatura la feminin. O antologie”. A tradus din franceză: „Opiul intelectualilor” de Raymond Aron (Editura Curtea Veche, 2007), „Antimodernii. De la Joseph de Maistre la Roland Barthes” de Antoine Compagnon (Editura Art, 2008, în colaborare cu Irina Mavrodin), „Sentimentul de impostură” de Belinda Cannone (Editura Art, 2009), „Patul răvăşit” de Françoise Sagan (Editura Art, 2012), „Ţara aceasta care-ţi seamănă” de Tobie Nathan (Editura Ibu Publishing, 2016, în colaborare cu Jianca Ştefan), „Un anume domn Piekielny” de François-Henri Désérable (Humanitas Fiction, 2018). Textele sale pot fi găsite și pe blogul personal: http://adinadinitoiu.blogspot.ro

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